vendredi 17 juin 2011

Geka Kihai - Le grotesque vermeille des estampes médicales.




Si l'on associe bien souvent les estampes traditionnelles du Japon à la vie des plaisirs et aux scènes du quotidien de l'ère d'Edo, on oublie que celle-ci fut, à l'instar de la gravure en Europe, le véhicule privilégié du savoir scientifique. Bien loin des ondulations chatoyantes du "monde flottant", cette technique dérivée de la xylogravure chinoise permettra entres autres une diffusion rapide et à très grande échelle des progrès techniques de la médecine moderne tout en figurant graphiquement son développement historique. Mais ces estampes, en plus de leur fonction, se construisent autour d'une théâtralité qui surprend parfois de façon insolite les courbes concaves de nos rétines en mal de poésie.

Publié en 1851, le Geka Kihai est un traité de médecine comme on en retrouve beaucoup durant la période Tokugawa : son auteur, Kamata Keichu, fut, de longues années durant, le disciple de Hanaoka Seichun, l'un des pionniers de la chirurgie au Japon. Notre première illustration présente l'amputation à la scie d'une jambe blessée, l'aspect de l'instrument rappelant celui encore employé aujourd'hui pour sectionner les membres gangrenés des malades.

Les deux estampes suivantes illustrent ce qui compte peut être comme l'un des épisodes les plus marquants de l'histoire de la chirurgie. Hanaoka Seichu réalise en 1804 la première extraction sous anesthésie générale d'une tumeur mammaire. L'opération s'avère d'autant plus délicate que la jolie patiente n'est autre que son épouse, dont les rides du front , réduites par le dessin à deux courtes lignes, semblent se crisper de douleurs et ce malgré son apparente léthargie. De ses mains nues , Seichu retire avec délicatesse le fibrome malin logée dans la poitrine de sa malade, son assistant prenant soin de représenter minutieusement sur le papier sa rugosité sanguine de grenade bien mure.


Mais si la ligne du dessin est vigoureuse et d'un minimaliste scientifique , le raffinement qui s'en dégage lui donne l'aspect d'une scène de genre toujours proche de la sensualité des estampes érotiques qui préfigurent peut être les canons de ce qui deviendra un jour l'Ero Guro. Que reste-t-il devant nos yeux , si ce n'est une femme déshabillée de ses apparats sociaux, dont la chevelure défaite et tentaculaire baigne dans les jaillissements écarlates de ses fluides vitaux: mélange des genres et des matières organiques qui ne trouve sa place que dans les images de transgression.

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